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    Editorial - Des Incontournables contournés

    Le Système de Production Toyota est essentiellement un système d’amélioration de la manière de produire, qui vise à répondre à la question suivante : « comment utiliser au mieux les ressources humaines, les équipements et les matières et composants pour fabriquer des produits de qualité, avec peu de stocks et des coûts et investissements minimaux ? » La réponse de Toyota à cette question est d’avoir défini et mis en place trois pratiques incontournables :

    • l’arrêt au premier défaut ;
    • le flux tiré ;
    • l’amélioration continue des postes de travail.

    A première vue, ces trois pratiques sont pleines de bon sens. Leur puissance est considérable : elles sont au c½ur de l’extraordinaire efficacité de Toyota dans tous les domaines. En ce sens, on ne devrait pouvoir se réclamer du « lean » -- le nom générique donné par Womack et Jones au système de production Toyota -- que pour autant qu’on les respecte. Hélas ! Ces pratiques sont extrêmement difficiles à mettre en ½uvre dans un système de production installé, où elles impliquent souvent des changements d’organisation profonds. Il est donc bien tentant de labéliser « lean » des programmes qui s’écartent de ces trois pratiques fondamentales. Et c’est bien ce qui se passe ! L’étude des programmes « lean » que développent actuellement la plupart des entreprises industrielles montre que la mise en place du lean dans les usines se fait souvent en contournant ces incontournables – le problème étant que les résultats ne sont pas au rendez-vous une fois que les fruits les plus accessibles sont ramassés. Pour progresser, il est essentiel de revenir sans cesse à ces trois pratiques fondamentales. Passons-les en revue tour à tour.

    On sait que la difficulté principale de la qualité est qu’on ne peut jamais relâcher l’attention : il faut fabriquer la qualité chaque jour, dans les moindres détails d’un processus. Dès qu’un processus se met à tourner « normalement », il produit fatalement des défauts de qualité ne serait-ce que par inattention. La qualité s’obtient certes par la « capabilité » intrinsèque des moyens, c’est-à-dire la performance de l’équipement en temps normal – car certains processus produisent plus de bonnes pièces du premier coup car ils sont mieux maîtrisés que d’autres – mais s’obtient également par le contrôle, c’est à dire la capacité du processus à repérer les pièces mauvaises immédiatement. Par exemple, une station de travail sur une ligne d’assemblage peut s’évaluer selon deux critères :

    • son taux de pièces bonnes du premier coup ;
    • son taux de pièces mauvaises passées à l’étape suivante, c’est-à-dire non repérées par l’opérateur ou l’équipement comme non conformes et donc « vendues » mauvaises à l’étape suivante.

    Tout le monde travaille bien sûr sur l’amélioration de la capabilité des postes de travail, le plus souvent par des investissements techniques. La subtilité lean est de s’attaquer d’abord au contrôle en se donnant pour objectif de ne jamais passer une pièce mauvaise à l’étape suivante – de la même manière qu’on s’impose de ne jamais vendre un produit mauvais à ses clients. Ce faisant, on essaye de comprendre ce qui a produit une pièce non conforme afin d’améliorer la capabilité. Pour ce faire, le plus simple est d’arrêter le processus dès qu’il a produit une pièce non conforme pour vérifier si tous les paramètres sont standards et regarder par quel mystère, à un instant donné, on produit une pièce mauvaise. La fabrication n’a rien de magique : si les pièces précédentes étaient bonnes et celle-ci est mauvaise, une condition a bien dû changer. En pratique, il s’agit de doter chaque station de travail d’un "bac rouge" pour isoler les pièces mauvaises, d’un paperboard (dans la zone elle-même, et pas "à proximité", quoi que cela puisse vouloir dire) et de demander aux opérateurs de s’arrêter quelques secondes à chaque pièce douteuse pour décrire le problème tels qu’ils le rencontrent. Selon le cas de figure, la ligne se remet à produire immédiatement ou, si le problème est grave, reste à l’arrêt tant qu’un superviseur ou un manager n’est pas intervenu pour décider ou non de reprendre la production. Ces paperboards et bac rouges sont visités une fois par équipe par une petit groupe constitué de responsables qualité, technique, maintenance et production pour choisir les problèmes à résoudre sur le champ et ceux qui méritent une exploration en profondeur.

    Une telle approche n’a rien de bien mystérieux et relève du simple bon sens – il n’est pas déraisonnable qu’un responsable de production s’inquiète de son niveau de qualité tout de suite, et non simplement à la fin du mois lors du "comité qualité". Toutefois, elle nécessite un haut niveau de discipline et une organisation capable de mener des investigations immédiates. En particulier, cela implique souvent que les opérateurs soient stabilisés dans des cellules de production, qu’ils connaissent bien les pièces et les postes de travail et qu’ils soient formés à distinguer les pièces bonnes des mauvaises, ainsi qu’à repérer si un équipement opère dans les conditions normales ou s’il s’en écarte. Bien souvent, les programmes d’amélioration tentent justement de contourner cette rigueur de base : les groupes d’analyse qualité "six sigma" chargés du recueil des données, de l’analyse et de la résolution des problèmes, ne sont rien d’autres qu’une manière de décharger la ligne hiérarchique de sa responsabilité fondamentale : ne pas passer de pièces mauvaises à l’étape suivante du processus.

    La deuxième pratique "basique" du lean est le flux tiré par cartes kanban. L’expérience montre que cela reste la seule méthode connue à ce jour permettant de livrer au client ce qu’il demande tout en baissant les stocks. Le flux tiré complet implique des zones de préparation des camions, un programme de production lissé, un séquenceur, des prélèvement réguliers, une reconstitution de la production via boîte de constitution de lots, un lanceur de production et un petit train d’approvisionnement des composants, le tout géré par kanban ; il permet de créer un système d’approvisionnement sans jamais avoir à modifier la demande client pour des raisons internes : on produit en séquence, dans l’ordre des prélèvements clients. Tenir ce mode de production implique que chacun soit responsabilisé, et fasse tout ce qui est nécessaire pour positionner les bonnes quantités aux bons endroits, de manière à toujours pouvoir livrer les clients internes. Le challenge quotidien du manager est de maintenir sa zone en situation de juste-à-temps, et il a un effet analogue à celui de l’arrêt au premier défaut : il oblige les managers à rester perpétuellement concentrés sur les problèmes immédiats, et à les résoudre, de manière à produire à tout moment avec des niveaux de stocks minimum.

    Le flux tiré par cartes kanban est le loup blanc du lean : on en parle depuis les années quatre vingt, il est connu dans le détail depuis au moins dix ans et pourtant on ne croise que très peu d’usines qui travaillent réellement en flux tiré. Beaucoup de sites de production ont des expérimentations locales avec des kanbans, mais cela reste anecdotique et, bien souvent, sans guère de résultats visibles. Comme l’arrêt au premier défaut, les managers considèrent bien souvent que le flux tiré est quelque chose dans lequel on se lancera quand on sera « bons en lean. » En pratique, c’est précisément par le flux tiré et l’arrêt au premier défaut qu’on devient bon – non pas « en lean », mais dans son métier ; pour le dire autrement, l’arrêt au premier défaut et le flux tiré sont la manière lean de s’améliorer.

    Mettre en place un flux tiré en kanban demande du travail, certes. Mais y renoncer conduit a des niveaux de stocks élevés, c’est-à-dire à faire le choix d’investir dans des stocks plutôt que dans des équipements industriels, par exemple. L’un des choix les plus irrationnels des directions industrielles et de tolérer que leurs usines ne fonctionnent pas toutes en flux tiré, par simple manque d’intérêt ou d’engagement, et de leur offrir ce luxe en finançant leur stocks. Mais alors, pourquoi tant de réticences ? C’est que le flux tiré implique de reconcevoir l’organisation d’usine. Il nécessite d’augmenter le nombre des changements d’outils, et donc de flexiibiliser l’outil industriel. Ce sont, mécaniquement, les usines qui changent leur fabrication plus souvent qui réduisent leurs stocks.

    De fait, le flux tiré est lié à l’arrêt au premier défaut. En effet, si l’on tire la production boîte par boîte (c’est à dire carte kanban par carte kanban), l’effet d’une pièce mauvaise ou d’un arrêt de production est bien plus visible. Pour reprendre la formule de Gilberto Kosaka, ancien directeur des opérations de Toyota Brésil, "le lean c’est : flux continu, stop (alerte qualité), flux continu, stop, et la tension entre les deux."

    Enfin, l’action lean la plus connue en France est celle des chantiers de productivité, souvent appelés « chantiers hoshin » (qui est, on le sait, une terminologie erronée dont les origines remontent aux années 90). Lors de ces chantiers, les experts lean prennent vingt temps de cycle de chaque station de travail et calculent le nombre d’opérateurs qui serait nécessaire si l’on fonctionnait en permanence au temps de cycle minimum. Comme une large part de la variation est causée par des déplacements de pièces et de personnes, le "chantier" consiste le plus souvent une réimplantation pour les limiter les mouvements. L’analyse est pertinente, et tout marche habituellement bien au début, mais on n’en passe pas moins complètement à côté de l’essence des chantiers d’amélioration, qui est l’optimisation du poste de travail. Toyota a découvert il y a longtemps que, pour produire efficacement et à un haut niveau de qualité, un opérateur ne doit pas être déconcentré de son cycle pendant au moins deux heures. C’est pourquoi, dans une cellule lean, un équipe se passe de la manière suivante : deux heures de cycle continu et concentré de travail à valeur ajoutée (sans interruption par des « fréquentiels »), dix minutes de pause au cours de laquelle les opérateurs « tournent » dans la cellule (s’ils sont suffisamment formés à chaque poste, ce qui est rarement le cas en France), deux heures de travail concentré, etc. Le but des chantiers est donc avant tout de retirer toute variabilité du travail de l’opérateur. Il faut travailler avec les opérateurs pour modifier les stations de travail afin qu’ils puissent suivre leur cycle de valeur ajoutée sans la moindre anicroche.

    Un des reproches les plus souvent adressés aux chantiers hoshin est de se caler sur les temps minimum, et donc de viser des cadences impossibles à tenir. Pourtant, si les temps sont observés en conditions réelles, c’est bien que la cadence n’est pas impossible à tenir. En fait, la "cadence" de production elle même n'est pas changée, les opérateurs produisent toujours des pièces au même rythme. l'objectif horaire de production, par contre, est augmneté, simplement parce qu'on essaye de retirer le plus de tâches inutiles possibles du travail de l'opérateur (les fameux 7 gaspillages): chaque tâche inutile retirée restitue du temps de production, donc des pièces bonnes en plus. En revanche, il est crucial de voir pourquoi on ne l’atteint pas cet objectif habituellement : le problème n’est pas un opérateur qui serait paresseux ou démotivé, mais un management qui ne fait pas ce qu’il faut. Nul ne considère dans le lean que les opérateurs doivent tenir des cadences "parfaites" tant que leur poste de travail ne le leur permet pas ! Et c’est au management de s’assurer que les opérateurs sont en mesure d’atteindre leurs objectifs, pas le contraire. Les chantiers kaizen sont donc avant tout des chantiers d’amélioration des conditions de travail pour pouvoir obtenir le potentiel de productivité sans augmenter (et souvent en réduisant) la pénibilité. Et cet incontournable est si souvent contourné par le management qui laisse consultants et équipes le soin de réimplanter les lignes et n’essaient aucunement d’améliorer les postes de travail. L’expérience montre pourtant que les gains à la réimplantation sans travail sur l’ergonomie tiennent rarement plus d’une semaine. Le but d’un chantier est de prouver le potentiel de productivité, mais il n’en reste pas moins qu’il faut faire le travail de fond pour permettre aux opérateurs de tenir le travail standardisé sans difficulté.

    C’est là qu’interviennent le 5S (comment tenir un cycle standard si les outils et pièces ne sont pas rangées au bon endroit, propres et bien maintenues ?), et la TPM (comment tenir un cycle standard si les machines subissent des micro-arrêts ou des ralentissements ?). De fait, rien ne démotive plus les opérateurs que les nombreuses interruptions que leur impose le système et qui les empêchent de produire. De même, la cause majeure d’interruption de cycle reste souvent l’approvisionnement (comment tenir un cycle standard s’il manque une pièce ?), et c’est pourquoi une des améliorations prioritaires des postes de travail est l’approvisionnement en petit bac (c’est à dire en bacs qui ne nécessitent pas une deuxième manipulation par l’opérateur avant usage) et donc par petit train, qui permet de livrer fréquemment tous les composant en petites quantités.

    Le lean est bien un système : si l’on produit en flux tiré, dans des cellules pièce-à-pièce et avec un arrêt à chaque pièce mauvaise, chaque difficulté de production va apparaître tout de suite et pourra être traitée immédiatement. Pour que ce système fonctionne, il faut que le management cesse de contourner les incontournables et, au lieu de continuer à expliquer que « ça ne s’applique pas chez nous », décide une fois pour toutes que son rôle est de trouver comment la production en flux tiré par kanban avec arrêt au premier défaut et amélioration des postes de travail peut s’appliquer dans n’importe quelles situation de production. Il s’agit là de la base du métier de manufacturing définie par Toyota, et la source de la compétitivité industrielle.

    Soulignons pour finir qu’un tel système permet de mieux s’adapter au mix des demandes clients, mais permet également d’être plus performant lors de l’introduction de nouveaux produits. En effet, des opérateurs stabilisés dans une cellule et qui collaborent quotidiennement avec les services techniques pour améliorer la production, seront d’excellent conseil sur le manufacturing de nouveaux produits et d’une aide précieuse pour résoudre les difficultés de démarrage.

    Les débats sur le lean ne cessent de ce multiplier au fur et à mesure que de nouvelles entreprises entament des démarches et cherchent à justifier que leurs résultats, si décevants soient-ils, sont tout de même "du lean" Mais personne ne devrait faire "du lean" pour faire du lean, mais utiliser ces techniques pour progresser dans son métier. Il est clair que l’auto-justification sera toujours une des plus puissantes forces psychologiques (et une nécessité de survie politique dans les organisations), mais les praticiens du lean ne rencontreront le succès (et donc ne survivront dans la durée) que s’ils arrêtent de contourner les incontournables.

    (20 février 2008)


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