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La Lettre de Jim Womack en version française
Avec l'accord du Lean Enterprise Institute, nous vous proposons régulièrement la traduction en Français de la lettre de Jim Womack. Toute reproduction publique, même partielle, de cette traduction est soumise à autorisation. Les lettres archivées sont accessibles en bas de page.
Penser de bout en bout (11 août 2006)
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Un flux de valeur démarre de matériau brut et chemine jusqu'au consommateur final. Et la valeur pour le client n'est délivrée qu'à la toute fin du processus.
Dans beaucoup d'industries de services, le matériau est bien sûr constitué d'information plutôt que de molécules - par exemple les données d'un formulaire traité par une société d'assurance. Mais la situation est la même. La valeur n'est délivrée qu'à la toute fin du flux.
On voit aujourd'hui beaucoup de progrès dans l'application des principes lean à des segments isolés de la chaîne de valeur à l'intérieur de l'entreprise. Mais l'optimisation de toute la chaîne y compris entre les entreprises -- afin de résoudre réellement les problèmes du client tout en contribuant au développement des organisationsimpliquées -- semble à un stade moins avancé.
Prenons l'exemple des véhicules à moteur. Comme consommateurs, nous voulons uniquement un objet physique c'est-à-dire une voiture ou un camion. Mais le vrai problème est en général celui de la mobilité personnelle : nous souhaitons nous déplacer d'un endroit à l'autre à moindre frais et sans temps perdu. Ainsi, le processus d'achat d'un véhicule et ensuite d'entretien pendant sa durée de vie font partie intégrante de la chaîne de valeur. Cette chaîne complète doit lier le fabricant de voiture (conception et production) au concessionnaire (ventes et services).
Je viens d'étudier les données de satisfaction client publiées par J.D. Power and Associates, par marque de véhicule, sur l'activité d'achat de voitures et de service des voitures aux États-Unis. J'ai comparé ces informations avec les données sur la satisfaction vis-à-vis du véhicule lui-même. Sans surprise, parmi les marques disponibles aux États-Unis, Toyota continue d'obtenir les meilleures notes en terme de satisfaction pour le véhicule. Sa marque Lexus était numéro 1 en 2006 alors que Toyota était numéro 4, malgré des problèmes de rappels de modèles chez le constructeur. Ces données concernent les problèmes avec le véhicule durant les trois premiers mois après l'achat, et les résultats sont proches si l'on étudie les problèmes sur trois ans. Ce sont les acheteurs de Lexus qui ont signalé le moins de problème, et la marque Toyota est 5e sur 37 dans ce classement.
Mais l'expérience de service chez les concessionnaires Toyota - tel que rapportée par l'indice Power Consumer Service Index - est classée 27e parmi 37 marques (Lexus est numéro 1). Et l'expérience d'achat chez les concessionnaires Toyota - tel que rapportée par l'indice Power Sales Satisfaction Index - est classée 29e sur 37 (Lexus est numéro 2).
Pire, comme Dan Jones et moi le signalons dans notre ouvrage récent, Lean Solutions (où nous utilisons les données collectées par l'Internet Car Distribution Programme), l'ensemble des 37 marques sont très mauvaises en termes de satisfaction des consommateurs à coût efficient. Ainsi, les revendeurs Toyota sont plutôt médiocres dans un domaine où personne n'est bon.
Au total, Toyota répond à la moitié des problèmes du consommateur en proposant des véhicules de haute qualité. Mais elle a encore du mal pour résoudre l'autre moitié, par l'amélioration de la chaîne de valeur de la vente et des services.
Comment cela est-il possible ? Comment les performances de Toyota sur son plus gros marché, les États-Unis, peuvent-elles être si différentes de ses performances sur son marché domestique au Japon où l'expérience d'achat et de service Toyota sont légendaires pour leur excellente satisfaction clientèle ?
Le cœur du problème, je pense, est que les revendeurs Toyota au Japon sont en partie la propriété de Toyota. Dès lors, appliquer l'approche lean aux processus de vente et de service est beaucoup plus facile : le revendeur doit réellement écouter. Dans le reste du monde, les concessionnaires automobiles, quelle que soit la marque et y compris Toyota, sont indépendants. Et, d'après mon expérience, la plupart des revendeurs automobiles -- pas uniquement ceux Toyota -- sont des "chasseurs". Ils se focalisent sur la vente à un bon prix et passent à la vente suivante. Il y a besoin au contraire d'"artisans" qui étudient avec attention leur processus de vente et de service pour répondre complètement à chaque problème rencontré par le consommateur tout au long de la vie du véhicule.
Le fait est que qu'en raison de la supériorité du produit qu'ils distribuent, les revendeurs Toyota peuvent se permettre de mal traiter le client. La combinaison d'une véhicule de haute qualité et de vente et services de mauvaise qualité -- ce qui fait au total l'expérience du consommateur -- reste compétitive sur le marché. De plus, la plupart des concessionnaires se trompent en pensant que créer d'exellentes conditions d'achat et de maintenance leur coûterait cher.
Les concessionnaires Lexus, en revanche, traitent leurs clients correctement. Mais ils semblent qu'ils y parviennent en dépensant plus en vente et services, plutôt qu'en créant des chaînes de valeur qui s'écoulent bien et coûtent peu. Avec un produit plus cher, ils peuvent se permettre des gaspillages dans leurs processus.
Nous savons maintenant qu'il est faux de croire que de meilleurs ventes et services coûtent plus cher. En fait cela coûte moins cher, comme une meilleure qualité pour les produits. En effet, de gros gaspillages de temps et d'efforts pour les concessionnaires et leurs clients peuvent être éliminés par une analyse minutieuse des processus. Dan Jones et ses collègues de la Lean Enterprise Academy en Grande-Bretagne l'ont clairement démontré lors de leur travail avec le système de vente de voitures GFS au Portugal, où un tiers des coûts ont été supprimés alors que dans le même temps le niveau de satisfaction clientèle augmentait nettement.
Les autres constructeurs rattrapent désormais les marques Toyota en ce qui concerne les non-qualités et la durée de vie des produits -- regardez par exemple les récents progrès de Hyundai -- et Toyota prend enfin des mesures pour perfectionner l'intégralité de sa chaîne de valeur y compris dans la relation client. Elle a récemement tenté des expérimentations auprès de cinq concessionnaires européens avec le "Toyota Retailling System" conçu pour appliquer les techniques du Toyota Production System à la vente et aux services. Au fur et à mesure de l'expérience accumulée dans ce domaine, Toyota espère étendre ce système aux revendeurs de par le monde.
Je ne doute pas que Toyota fera des progrès, même si transformer des chasseurs en artisants constitue un sérieux défi. Mais quid du reste d'entre nous, de tous secteurs ? Presque toutes les firmes du monde dés-intégré d'aujourd'hui soit atteignent leurs clients via d'autres firmes, soit obtiennent les éléments dont elles ont besoin pour répondre aux besoins de leurs clients de plusieurs fournisseurs. Les clients -- vous et moi comme consommateurs -- s'intéressent uniquement à la valeur délivrée à la toute fin de la chaîne. Et nous ne voulons certainement pas écouter les plaintes des revendeurs, distributeurs, fabricants et autres fournisseurs expliquant leurs difficultés à coopérer pour résoudre nos problèmes.
Ainsi, le défi pour nous est désormais -- dans tous les secteurs -- d'entamer un dialogue entre les firmes pour discuter de l'optimisation des chaînes de valeur complètes. La meilleure approche consiste à tracer une carte fidèle de la chaîne de valeur complète avec tous ses goulots d'étranglement. Il faudra ensuite discuter sérieusement de la création de flux de valeur plus fluides et de haute qualité qui peuvent être du gagnant-gagnant-gagnant pour les entreprises, leurs fournisseurs et les clients, dès lors que tout le monde adopte une approche de bout en bout.
Cordialement,
Jim WOMACK
Président et fondateur du Lean Enterprise Institute
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Lettres archivées
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