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La Lettre de Jim Womack en version française

Avec l'accord du Lean Enterprise Institute, nous vous proposons régulièrement la traduction en Français de la lettre de Jim Womack. Toute reproduction publique, même partielle, de cette traduction est soumise à autorisation. Les lettres archivées sont accessibles en bas de page.

La dernière lettre : Nécessaire mais pas suffisant (17 octobre 2005)

L’une des choses les plus dures dans mon métier, c’est de voir une entreprise faire d'énormes pas pour devenir lean et, pourtant, ne pas réussir s’en sortir. Ce qui me fend le cœur aujourd'hui, c’est Delphi, l’équipementier géant américain qui a été l’un des fondateurs du Lean Enterprise Institute et qui a été un banc d'essai pour nos idées et nos publications au cours des huit dernières années. Comme vous le savez peut être, Delphi a été placé sous la protection de la loi sur les faillites (Chapter XI) le 8 octobre 2005 et est maintenant en pleine réorganisation.

J'ai visité des douzaines d'usines Delphi dans de nombreux pays et, au cours de mes dernières visites, j'y ai observé certaines des pratiques les plus lean que j’ai jamais vues en dehors de Toyota City. Delphi a travaillé avec les meilleurs sensei issus de Toyota, s’est lancé à fond dans le kaizen et le kaikaku, et a réussi à économiser des milliards de dollars en frais d'exploitation. Dans le même temps, la qualité s’est améliorée de manière spectaculaire (atteignant même des valeurs de PPM à un seul chiffre), la réactivité aux exigences changeantes des clients a progressé, les besoins d’investissement pour un niveau donné de capacité ont été réduit, et les stocks se sont effondrés. En bref, Delphi a pris toutes les mesures nécessaires pour transformer son système de production, mais ces mesures à elles seules n’ont pas été suffisantes.

Alors, qu’est-ce qui a mal tourné ? L’entreprise Delphi a été prise en étau entre les promesses faites à ses employés au moment où elle s’est séparée de General Motors et les exigences de son plus grand client (General Motors représente encore 50% de ventes de Delphi) qui s’efforce de s'ajuster à l’économie mondiale hyper-compétitive d'aujourd'hui. Quand Delphi a gagné sa liberté en 1999, c’était avec l'espoir que l’entreprise aurait du temps pour effectuer sa transition. Delphi pensait pouvoir honorer ses accords sur les salaires et les retraites avec les anciens employés de GM qui continuaient à travailler sur des produits GM en Amérique du Nord (au départ, GM représentait 90% des ventes de Delphi), tout en se diversifiant rapidement sur de nouveaux marchés. Ensuite, au fur et à mesure que les ouvriers syndiqués de Delphi aux Etats Unis, payés à un niveau de salaire « GM », partiraient à la retraite, ils devaient être remplacés par de jeunes ouvriers avec des niveau de salaires « normaux », c’est-à-dire comparables à ceux encourus par les équipementiers concurrents de Delphi. Dans le même temps, GM devait se montrer compréhensif face au problème du coût de Delphi sur ses lignes de produits dédiées, et n’exiger des baisses des prix qu’en tenant compte de la capacité de Delphi à réduire les coûts.

Pendant cinq ans, alors que Delphi augmentait significativement sa productivité grâce à son initiative lean et que ses ouvriers à haut salaire partaient à la retraite, il a semblé que ce pari pourrait réussir. Mais, tout d’un coup, les prix de l'énergie sont partis en flèche, les marchés des Pick-Ups et des 4x4 où GM faisait toujours de belles marges ont stagné, et des concurrents lean comme Toyota ont lancé des produits dans chacune des niches profitables qui restaient à GM. GM a répondu en exerçant une pression de plus en plus forte sur le prix des produits de Delphi, jusqu’à faire exploser les pertes de Delphi. (L'ironie pour les penseurs lean est que le fleuron lean Toyota a battu GM et que GM a répondu en abattant Delphi qui était devenu l’un des émules les plus enthousiastes de Toyota. Ah ! Si seulement Delphi avait eu Toyota comme client principal !)

Il fallait bien faire quelque chose, et Delphi a décidé que la faillite était la seule manière de faire face à ses pertes américaines, alors même que l’entreprise réalise de bonnes performances financières dans le reste du monde, toujours grâce au lean.

Bref, que retenir de cette expérience pour les penseurs lean ? Se contenter de remettre la production en ordre de marche peut ne pas suffire si les dirigeants attendent trop longtemps pour se lancer et si les coûts des facteurs de production (principalement les salaires et les coûts de santé de nos jours) sont vraiment trop élevés. Delphi va maintenant passer par un processus de réorganisation où ce sera le juge des faillites (et non les cadres supérieurs, les chefs des syndicats ou les clients) qui décidera comment repartir la douleur. And here is a contrarian prediction: I believe Delphi has a great future as the world's leading car parts supplier once promises made in a much less competitive past are addressed. Voici une prévision à contre-courant : Je crois que Delphi a un grand futur en tant que leader du marché des équipementiers automobile, une fois que l’on sera revenu sur des promesses faites dans un environnement bien moins concurrentiel. Ceci parce que Delphi a déjà construit les fondations lean de son succès.

Beaucoup d'observateurs supposent, bien sûr, qu'une étape clef pour Delphi va être de déplacer pratiquement toutes ses opérations des Etats-Unis et de l’Europe occidentale vers des pays où le coût du travail est faible. Et ceci peut effectivement faire partie de la solution. Mais, encore une fois, je suis à contre-courant et je pense que ce mouvement, bien que souvent nécessaire, n’est jamais suffisant.

Après tout, n'importe qui peut « délocaliser ». Si Delphi déplace simplement toutes ses opérations en Chine – en supposant que c'est le pays aux coûts les plus bas - mais mène ses opérations comme un producteur de masse, comment pourra–t-elle gagner un avantage concurrentiel durable puisque ses concurrents poursuivent la même stratégie à la même vitesse ? En fait, les avantages soutenables résident dans la combinaison de pratiques véritablement lean dans la conception de produits, les opérations et la logistique, les achats et le contact avec le client, avec une main d'œuvre appropriée et placée à l’endroit adéquat pour servir les clients spécifiques.

Ce que sont ces coûts et l’endroit où les activités doivent être localisées dépendent des clients spécifiques à servir. (vous aurez besoin de quelques "maths lean" pour obtenir la bonne réponse.) Mais je prévois que dans beaucoup de cas le bon endroit pour Delphi sera d’être plus près du client que ce que ne croient la plupart des observateurs aujourd'hui. Dans tous les cas, et quelle que soit l’entreprise et l’industrie, seuls des processus lean au bon endroit seront à la fois nécessaires et suffisants.

Cordialement,

Jim WOMACK
Président et fondateur du Lean Enterprise Institute

Lettres archivées

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