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Chaque jour l'humanité mange a peu près le même nombre de repas et dort dans le même nombre de maisons et parcourt le même nombre de kilomètres pour aller au travail. Tous ces nombres augmentent lentement avec la croissance de la population, mais notre nombre sur la planète et nos besoins évoluent lentement.
Mais alors, pourquoi assistons-nous sur le court terme à des bouleversements spectaculaires dans une économie dont le but est de fournir ce qu'un nombre presque constant de gens ont besoin ? Je vois ces bouleversements comme une forme de "mura", le terme utilisé par les "penseurs lean" pour décrire les variations à court terme de la demande qui ne sont pas causées par les changements de souhaits à long terme des consommateurs. Je les appelle le "gros mura" [i.e. « la grosse variation »] par contraste avec le "petit mura" [i.e. « la petite variation »] repérable chaque jour dans la plupart des flux de valeur quand des flux d'information décalés, des lots trop gros et des instabilités du process causent l'effet "onde du fouet" sur le chemin vers l'amont de chaque flux. [i.e. une petite amplitude au départ cause une grosse amplitude à l'arrivée.]
Il y a quelques années, Dan Jones et moi même avons écrit dans Système Lean qu'en raccourcissant les flux de valeur mondiaux pour lisser la demande à partir d'un point de régulation et en produisant des biens en petits lots avec beaucoup moins d'en-cours, on amortirait non seulement le "petit mura" mais également le "gros". Et il y a quelques preuves que c’est effectivement ce qui s’est passé. Le montant total des en-cours nécessaires pour fournir un même niveau de ventes aux clients finaux s'est réduit et la récession de 2001 a été moins profonde que beaucoup ne s'y attendaient. Mais nous avons encore des bouleversements dans l'économie et, au moment même où j'écris, il apparaît que nous en abordons un nouveau, qui démarre en Amérique du Nord.
Les économistes et les politiques ont accepté depuis longtemps que ces renversements sont des créations humaines et que des tentatives devraient être faites pour lisser la demande par des politiques fiscales, la régulation du système de financement, et la transparence – des formes de "heijunka" [i.e. dispositif de lissage et de séquencement.] Mais en attendant que l'humanité progresse en connaissances pour faire cela – et en sagesse pour amortir les expansions qui se transforment rapidement en récessions –, les bouleversements économiques continueront et les penseurs lean ne peuvent pas les empêcher.
Ce que nous pouvons faire, en revanche, c’est empêcher que le mouvement lean soit fragilisé par cette récession. Il est probable qu'alors que l'économie dévisse et que les entreprises s'enfoncent dans les problèmes, les dirigeants d'entreprise et les consultants qui utilisent le mot « lean » dans leur discours marketing vont bien bientôt apparaître avec des programmes pour devenir "lean et méchant" [littéralement : lean and mean = maigre et radin]. Sous leur houlette, les effectifs seront rapidement réduits pour suivre la baisse des ventes avec comme justification que les flux de valeur redéployés nécessitent moins de personnels. Mais ce qui arrivera réellement dans la plupart des cas, c’est que les entreprises créeront tout bonnement moins de valeur avec proportionnellement moins de personnes. Puis, lorsque la récession sera terminée et que les commandes déferleront, elles ré-embaucheront des employés pour faire exactement comme avant. (Ou elles convertiront leurs anciens employés en fournisseurs, avec des payes plus faibles et moins d'avantages.) Il n'y a rien de lean dans tout cela.
Ce que nous avons toujours cherché à faire dans le mouvement lean est de créer plus de valeur pour la société tout en protégeant les employés créant la valeur des variations de demande à court terme. Malheureusement, dans les circonstances présentes, certaines entreprises devront réduire significativement leurs effectifs simplement pour survivre. Et "quelques emplois" est toujours un meilleur résultat que "pas d'emplois". Mais leurs managers devraient appeler un chat un chat : ils vont procéder à une réduction d'effectifs qui leur permettra de produire moins avec moins. C'est-à-dire, moins de création de valeur avec en proportion moins d'employés dans un marché en déclin. Ils ne devraient pas appeler ça "lean", parce que ce n'en est pas.
La plupart des entreprises vont affronter une alternative dans cette récession. Elles peuvent soit traiter leurs employés comme une dépense devant être élaguée rapidement pour protéger les bénéfices à court terme. Ou elles peuvent traiter leurs employés comme un investissement qui doit être protégé pour sa capacité à créer de la valeur à long terme. Les managers lean feront ce dernier choix. Ils vont regarder leur employés – avec leur connaissances accumulées pour résoudre des problèmes pour continûment réduire le muda, le mura et le muri [i.e. les gaspillages, la variation et la surcharge.] -- comme l'atout maître de leur entreprise pour les succès du futur, même si c'est un coût pour l'entreprise à court terme.
J'aimerais pouvoir compter sur tous les managers pour se comporter comme des managers lean. Mais c'est impossible. Au cours des vingt dernières années, beaucoup d'entre nous ont travaillé très dur pour expliquer une nouvelle façon de penser la création de valeur et comment traiter équitablement les personnes créant la valeur. Ce serait une tragédie si la grosse variation de cet instant discréditait les idées lean et éloignait les employés d'une façon de penser qui puisse créer une situation gagnant- gagnant pour les entreprises, les employés, et les clients dans le long terme.
J'espère donc que les membres de la communauté lean parleront fort lorsqu'ils verront des plans de départ déguisés en programmes lean. Et j'aimerais entendre des exemples positifs de la part d'entreprises avec un management lean qui voient à long terme en trouvant des façons de protéger les employés dans la récession actuelle tout en faisant le travail de fond pour réussir à la prochaine éclaircie. Vraiment, ces histoires seraient un excellent sujet pour une prochaine lettre électronique.
Jim WOMACK
Président et fondateur du Lean Enterprise Institute
Merci à Emmanuel JALLAS, LYSIPPE Consulting, pour cette traduction.
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