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    Editorial - Taylorisme ou Toyotisme ?

    La conférence "Frontiers of Lean" organisée du 31 octobre au 2 novembre en Grande-Bretagne par la Lean Enterprise Academy de Dan Jones a été, comme le sont toujours ces rencontres, pleine d’enseignements. Une bonne partie des discussions y a porté sur ce problème que tous les connaisseurs du lean connaissent bien : pourquoi, alors que tant d’entreprises s’essayent au lean, si peu arrivent-elles à le mettre en place durablement ? Lors des débats, plusieurs responsables de transformations lean réussies ont présenté leurs manière de voir les choses, et de leurs recommandations croisées émerge une hypothèse pour résoudre ce problème.

    En effet, à écouter les uns et les autres, les expériences réussies de mise en place du lean (là il est devenu un principe de management inscrit dans la durée) sont très différentes de celles qui ne sont qu'un feu de paille. En effet, de nombreuses entreprises ont obtenu des résultats en demi-teinte (succès ponctuels, mais pas de transformation étendue et durable des modes de management) ; ces entreprises présentent de vastes programmes de formation et des objectifs ambitieux faisant appel à de grands cabinets de conseil, mêlant lean et six sigma, définissant des trajectoires de type "green belts"/"black belts", etc. A contrario, Pat Lancaster ( Lantech, fabriquant américain de machines industrielles d'emballage plastique), Pedro Simao (Grupo Fernando Simao, distributeur automobile portugais) ou Freddy Ballé (Valéo, Sommer-Allibert et Faurecia) préconisent une trajectoire simplifiée à l'extrême : trouver un sensei avec lequel on peut travailler et avancer sur tous les fronts sans se poser de questions – tout en brûlant les ponts dernière soi. Bref, il semble que le succès aille plutôt vers les méthodes apparemment artisanales et reposant sur un lien fort entre le manager sponsor de la transformation et un sensei détenteur des clefs techniques de la transformation, que vers une "industrialisation" du lean pensé comme un ensemble de procédures et de routines auxquelles il faut (et il suffit) de former les acteurs. Et c'est là un enseignement plus profond qu'il n'y paraît.

    Cette importance du lien sensei-manager dissimule en fait une des plus grandes ambiguïtés du lean : sa proximité évidente et sa divergence non moins réelle avec les méthodes tayloriennes traditionnelles. C'est que les transformations lean réussies reposent sur des décisions très spécifiques au niveau des représentations fondamentales de l'entreprise et de son fonctionnement.

    Pour mieux cerner ce problème, il faut prendre au sérieux cette proximité/divergence du "Toyotisme" et du "Taylorisme". Un bon point de départ est la méfiance qu'entretiennent bien souvent gestionnaires et sociologues du travail français à l’égard du lean. D'où provient-elle ? Dès les années 1980, ces observateurs ont reconnu au coeur des pratiques lean qu'ils observaient des outils fort similaires à ceux que le taylorisme a utilisé tout au long du XXe siècle (chronomètres, standards de travail, mise en flux, etc.) Et cette observation leur suffit à disqualifier le lean comme un "relooking" du bon vieux taylorisme rhabillé de mots japonais. Or, et c'est le coeur de l'ambiguïté, ils ont parfaitement raison sur l'observation... mais leur conclusion est erronée. Oui, les calculs de temps standards ou l'optimisation du cycle de travail sont des outils développés par les exégètes de Taylor au début du XXe siècle, et l'ont pourrait en dire autant de l'ensemble des outils lean - à l’exception du Takt Time qui semble bien être une réelle originalité Toyota. Et, de manière non moins claire, le but avoué du toyotisme est identique à celui du taylorisme : rendre plus productif le travail de chaque opérateur. Alors, en quoi le toyotisme serait-il fondamentalement différent de ce qui s’est toujours fait en efficacité industrielle ?

    Pour répondre à cette question, il faut d'abord réviser notre vision du taylorisme. L’apport réel de Taylor n’a pas tant été ses outils que son approche de l'amélioration de la productivité. Taylor a montré aux patrons d’entreprises du XIXe siècle qu’en investissant dans des ingénieurs, des chronomètres et des lignes téléphoniques, il devenait possible d'observer de façon méthodique et détaillée les opérateurs qui travaillaient mieux que les autres, de codifier la méthode qu'ils suivaient et de standardiser leurs outils pour obtenir des gains spectaculaires en productivité directe. Pour caricaturer, la proposition taylorienne était la suivante : investissez dans une structure chargée des méthodes, ne conservez que les meilleurs 40% de vos opérateurs, augmentez-les de 60%, et vous n'en ferez pas moins des bénéfices accrus. Le succès de cette proposition explique largement l'explosion de la productivité au XXe siècle : le nom de Taylor a certes été noirci tant par le patronat ("60% d’inflation des salaires, vous n'y pensez pas !") que par les syndicats ("discuter directement avec les opérateurs du contenu du travail et les recruter sans faire appel aux sections locales, vous n'y pensez pas !"), mais sa méthode a en revanche été très largement acceptée par les entreprises qui ont tellement développé leurs départements fonctionnels que ces derniers sont désormais plus nombreux que les opérationnels directs. Un siècle plus tard, les "fonctionnels" et les "indirects" règnent en maîtres, assistés dans leur ambition par l’informatique (la promesse des MRP puis des ERP n'est-elle pas de remplacer les tâches de management opérationnel jusqu'ici dévolues aux gestionnaires de production par de savants algorithmes optimisés ?). Et les opérationnels sont toujours plus faibles au sein de l'entreprise, tout particulièrement au niveau de la maîtrise. De quoi il découle, pour nous qui sommes les héritiers directs de Taylor, qu'il nous semble aller de soi que c’est aux fonctionnels et indirects d’inventer des solutions toujours nouvelles de "faire de la productivité".

    C'est sur ce point que l’approche de Toyota est fondamentalement différente. En effet, chez le leader du lean, et bien que les outils soient exactement les mêmes que ceux du taylorisme, la responsabilité de la productivité incombe au management de terrain. Ainsi, c’est le superviseur et non un ingénieur méthodes qui doit utiliser les outils tayloriens pour maintenir le "zéro défaut" et augmenter continument la productivité (pièces/heure/personne). Et, le superviseur étant au contact permanent des opérateurs, il sollicite et utilise facilement les idées de kaizen de ce derniers pour augmenter la productivité de leur travail sans en augmenter la pénibilité. De même, le superviseur hésitera moins à augmenter la pression sur les services supports (maintenance, logistique, informatique, etc.) que ne le ferait un ingénieur méthodes, car la solidarité joue plus au sein des deux groupes "directs" et "indirects" qu'entre ces groupes.

    Cette responsabilité des opérationnels explique l'insistance de Toyota sur l'amélioration continue. Les héritiers du taylorisme voient l'amélioration comme une action menée par des experts venus du siège, donc nécessairement ponctuelle (c'est-à-dire rare du point de vue de chaque ligne de production) : pour se justifier, elle doit donc avoir des effets puissants sur la productivité, ce qui favorise les innovations de rupture. En revanche, parce que la recherche de productivité est menée dans le TPS par le management de terrain, elle est un processus continu d'observation et d'amélioration des cycles de travail, qui repose sur les standards de travail (qui permettent l'observation) et sur le kaizen. A noter que, vu de loin, l'amélioration tayloriste peut sembler lean : les ingénieurs méthodes (qu'on peut même nommer "lean office") peuvent appliquer explicitement les principes lean (flux tirés, par exemple) et les outils Toyota (SMED, TPM, etc.) tout en restant dans un cadre d'application tayloriste. Certes, Toyota ne se prive pas de ressources indirectes (de type "kaizen team") pour réaliser des chantiers, mais ces ressources sont situées en usine et non pas en central.

    Ce changement de perspective résoud ce qui reste sinon un paradoxe du toyotisme : comment l'entreprise peut-elle à la fois exiger (et obtenir !) du management une réduction des coûts totaux de chaque pièce de l'ordre de 10% chaque année, et une implication bottom-up des opérateurs dans la résolution de problèmes et les idées d’amélioration ? Dans le système tayloriste, la pression sur les coûts conduit à spécifier de plus en plus précisément un travail de plus en plus exigeant. Mais si la dynamique de l'amélioration vraiment est au niveau des opérationnels, la méthode devient toute simple :

    • le superviseur s’assure que les standards de travail sont élaborés et respectés ;
    • il observe et suscite deux types d’amélioration :
      • s'il observe une rupture du cycle de travail de l’opérateur, il déclenche une contremesure immédiate, suivie d'une résolution de type PDCA visant à réduire les ambiguïtés dans la spécification du travail (de l'opérateur ou en amont) qui sont à l'origine du problème ;
      • s'il recueille une idée spontanée d'un opérateur pour améliorer l'ergonomie du poste ou du cycle, il pilote sa mise en œuvre rapide.

    Est-ce à dire que les fonctionnels n'ont plus de rôle dans le toyotisme, et qu'ils doivent disparaître ? Non, mais leur rôle évolue et leur nombre diminue. Le besoin demeure de quelques grands experts placés au niveau du siège, qui auditent les projets en permanence pour s’assurer que tous se passe comme on le souhaiterait, et jouent plus un rôle de conseil d'expert que de responsables de fonctions. Dans plusieurs entreprises proches du modèle toyotiste, les ingénieurs de développement ont même leur bureau dans une usine et non dans une "ruche" centrale, même s'ils sont impliqués dans des projets qui se déroulent sur d'autres sites.

    De même, les "fonctionnels du lean" ("lean office", "kaizen office", "gestionnaires du système d'excellence") ne sont pas nombreux : leur rôle n’est en effet pas d’animer des "programmes" mais de faire le tour des sites pour :

    • s’assurer que le management local met bien tout en œuvre pour que chaque cadre fasse de l’amélioration continue sa méthode de management ;
    • faire de la formation continue aux subtilités du TPS.

    Quel enseignement tirer de ce renversement de perspective sur la mise en place du lean ? Que créer en central de lourds programmes lean ou "six sigma" (ou même "lean six sigma", comme c'est la mode) et les donner à gérer à des fonctionnels va à l'encontre même de ce qu'est en réalité le lean. De fait, sur le terrain, cette approche génère quelques améliorations et beaucoup de frustrations. Tôt ou tard, face à ces difficultés, les soi-disant experts fonctionnels lean, qui sont en situation de faiblesse par rapport au management opérationnel pour imposer les transformations qu'ils sont censés mener, se réfugient dans des analyses de plus en plus théoriques, et perdent leur utilité. En revanche, on comprend mieux le succès de la méthode "Pat Lancaster" : le CEO travaille directement avec le sensei et entraîne son management (depuis son comité de direction jusqu’aux superviseurs sur le terrain) non pas dans un "programme" lean, mais bien vers un "management" lean: l’amélioration continue comme mode principal de management, chacun s'attachant au management visuel, à des contremesures immédiates et à la résolution approfondie de problèmes. Ce qui implique un dernier enseignement, particulièrement douloureux : puisqu'on ne peut pas "passer au lean" grâce à des fonctionnels sans que le management opérationnel adopte une "attitude lean", puisqu'en définitive le passage au lean est défini par cette transformation dans les attitudes des managers, ceux d'entre eux qui ne réussissent pas à s’y adapter doivent partir...

    (14 novembre 2005)


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